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« Nous ne sommes à l’abri d’aucune catastrophe électorale »

À la une Société

Comme tous les quatre ans, l’élection présidentielle française a tenu en haleine de nombreux Belges. Olivier Maerens, directeur de la communication d’une grande organisation publique, consultant et professeur de communication publique et marketing politique, décrypte pour #Liégeois cette campagne 2022 et ses enjeux, analyse la victoire d’Emmanuel Macron ainsi que les conséquences de la montée des extrêmes chez nos voisins d’outre-Quiévrain et ses répercussions chez nous. Entretien.

Olivier, cette réélection d’Emmanuel Macron est une demi-surprise mais vu le taux record d’abstention et le résultat enregistré par rapport à l’élection précédente, peut-elle être qualifiée de victoire pour le Président ?

Il faut à mon sens aborder cette question en deux temps : tout d’abord sur le plan électoral, c’est clairement une victoire. Emmanuel Macron a été réélu, et l’a été avec un score bien plus important que ce que les sondages d’entre-deux tours ne pouvaient laisser craindre. De ce point de vue, c’est gagné pour lui.

Maintenant sur un plan politique c’est en effet une autre affaire. La victoire est clairement aussi celle du RN de Marine Le Pen. Avec un score de 41%, le parti n’a jamais été aussi près de remporter le second tour et Marine Le Pen a réussi à rendre son parti presque « normal » . Dans de nombreux médias français, on ne parle plus du RN comme de « l’extrême droite » mais bien de « la droite nationale ». Cette victoire-là est plus insidieuse, mais elle pèse lourd sur le plan politique.

C’était aussi l’un des combats d’Emmanuel Macron de ne pas ramener Marine Le Pen au second tour. Ce combat-là a bel et bien été largement perdu.

Que peut-on retenir de cette campagne et qu’est-ce qui a permis au Président sortant d’être réélu pour un second mandat ?

Principalement, c’est presque l’absence de campagne qui est à retenir pour le premier tour.

L’arrivée dans l’arène politique d’Eric Zemmour, à droite de Marine Le Pen dont les médias nous ont littéralement gavé durant de très longues semaines, la situation sanitaire qui n’a connu de réels assouplissements qu’à quelques mois de l’élection et, bien sûr, le conflit en Ukraine qui a focalisé toute notre attention au moment où la campagne allait débuter. Tout ceci n’a pas permis aux candidats de présenter un programme dans de bonnes conditions. Emmanuel Macron n’est d’ailleurs rentré en campagne que quelques jours avant le scrutin du premier tour.

Ce fut donc un peu une « non-campagne » essentiellement marquée par un rejet massif des partis dits « traditionnels » et par un intérêt très faible de la part des électeurs français dont l’esprit était ailleurs.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron a sans doute été perçu comme un élément de nécessaire stabilité face à un monde incertain pour de nombreux électeurs, et ce sentiment s’est accru évidemment au second tour.

Cette élection a vu de nombreux Français – près d’un sur deux au premier tour – voter pour des extrêmes. Est-ce une évolution dont nous devons nous méfier en Belgique et qui pourrait devenir identique chez nous ?

Il faut en tout cas rester extrêmement vigilants. Ces montées des extrêmes, nous y assistons aux quatre coins de la planète. Ce qui est marquant si l’on compare la France et la Belgique, c’est une tendance claire de délitement des partis dits « traditionnels », même si le phénomène est plus marqué en France que chez nous. Notre pays a aussi une complexité plus grande que la France, tant par son système politique que par le morcellement des entités qui le composent. On peut évidemment s’inquiéter de la montée en puissance de l’extrême droite au nord du pays, où le Vlaams Belang passe de 3 à 18 élus lors du dernier scrutin fédéral, en même temps que celle de l’extrême gauche du côté sud avec un PTB qui flirte doucement avec les 20% dans les derniers sondages.

Comparaison n’est pas raison mais il est très important de garder en tête que nous ne sommes à l’abri d’aucune catastrophe électorale et qu’il est toujours plus difficile d’en sortir que de ne pas y entrer….

Les élections présidentielles françaises passionnent toujours les Belges et pas seulement parce que notre pays compte de nombreux ressortissants français. Comment l’expliques-tu ?

C’est vrai depuis si longtemps en effet. Enfant, je me suis passionné pour l’élection de François Mitterand en 1981 (rires) et mon intérêt n’a jamais réellement faibli. Dans mes cours, je fais d’ailleurs très souvent allusion à la politique française, souvent plus lisible que la politique belge, surtout pour des jeunes non-initiés.

Je pense que nous avons une relation presque de famille avec la France. Pour une partie de nos citoyens, nous avons une langue et une culture communes. Pour tous, c’est le pays des vacances, la « douce France » qui a bercé nos enfances au bord de mer, en montagne…

Cette proximité tant géographique et historique que culturelle en est sans doute le principal élément de réponse. La lisibilité du résultat des scrutins aussi. Les deux tours donnent une image de clarté quant à la victoire des uns et la défaite des autres. C’est beaucoup plus complexe chez nous. Et puis on regarde souvent ce qui se passe à côté de chez nous pour s’en inspirer, c’est humain.

Si tu ne devais retenir qu’un évènement, une promesse, une anecdote, une déclaration de cette campagne, quel serait-il ?

Deux choses : d’une part, en marge de l’éclatement en vol des partis « traditionnels », la problématique des égos dont nous sommes loin d’être débarrassés. Les appels d’un rassemblement des gauches ont été martelé tellement de fois durant cette campagne, chacun des candidats campant jusqu’au bout sur ses illusions, sans faire preuve de pragmatisme, ni d’humilité. Il est interpellant de constater que Jean-Luc Mélenchon ne termine finalement qu’à 1,20 % du score de Marine Le Pen au premier tour, entouré des partis de gauches (communistes et socialistes principalement) qui s’en vont avec chacun près de 2 petits pourcents de voix… C’est aussi un enseignement pour l’avenir qui se construira sans doute avec d’autres noms, d’autres visages.

Ensuite, c’est la promesse d’Emmanuel Macron de faire de l’écologie une réelle priorité et d’y mettre les moyens…. Il annoncé faire de son prochain Premier ministre le responsable de la transition écologique et vouloir tout faire pour redresser la barre. C’est un enjeu fondamental et il devra montrer bien du courage pour passer des paroles aux actes. Peut-être que c’est ce que l’Histoire retiendra un jour de lui : qu’il devienne un exemple et un moteur pour l’écologie européenne et mondiale. Je l’espère en tout cas.

Thiebaut Colot

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