Passionné de cyclisme et de photographie, Alessandro Volders compte déjà deux années au sein de l’équipe Intermarché-Wanty-Gobert. Entre des valises à boucler et une Grande Boucle à photographier, celui qui connaitra prochainement l’effervescence du Tour de France revient sur cette année hors du commun. Rencontre avec un jeune homme qui, dans l’ombre, immortalise l’effort comme personne.
Tout d’abord, qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune homme en dernière année d’architecture à se lancer dans la photographie sportive ?
Dans la photo, j’ai toujours été autodidacte. Au départ, habitant aux alentours du circuit de Spa-Francorchamps, je pouvais m’y rendre sans souci chaque année (parfois en fraudant). J’ai commencé par les courses d’autos. La région étant riche en évènements sportifs, je ne manquais jamais un Liège-Bastogne-Liège non plus. Le milieu du cyclisme étant plus ouvert que le sport automobile, en 2019 je me suis rendu sur toutes les courses belges pour enrichir mon portfolio. C’était l’année où Bruxelles accueillait le départ de la Grande Boucle, l’occasion idéale pour proposer un concentré de mon travail à l’équipe de Jean-François Bourlart. Maxime Segers (COO) a apprécié ce que je lui ai envoyé. Certaines de mes photos ont fini sur les réseaux sociaux, qui ont une importance capitale aujourd’hui… Ce qui fait nos affaires. De fil en aiguille, et en développant des compétences en vidéo notamment, le tout sans abandonner mes études en architecture, je me suis rendu compte qu’on pouvait vivre de sa passion. Et pour quelqu’un qui a reçu son premier appareil photo à sa petite communion, c’est incroyable.
L’équipe est en pleine bourre, et c’est le moins que l’on puisse dire… Comment perçois-tu l’ambiance au sein du groupe par rapport à l’année précédente, et pour toi, qui les côtoies au quotidien, es-tu surpris par ce remarquable début de saison ? Comment l’expliques-tu ?
Le passage de l’équipe en World Tour s’est accompagné de gros changements : un calendrier plus chargé, des ambitions à la hausse et forcément un peu plus de pression. Le début de saison en fanfare peut surprendre, mais quand on suit l’évolution depuis le début, et quand on en parle avec Jean-François Bourlart, on remarque que chaque année, on franchit un cap. Ça s’explique par des choix judicieux qui ont porté leurs fruits. Investir dans le staff et l’encadrement ainsi que de nombreux tests sur le matériel (quel casque est le plus adapté ? Améliorer le dérailleur, la pression des pneus…) plutôt que dans d’autres domaines moins importants comme un bus plus confortable… Sans oublier les nombreux investissements qui concernent davantage l’aspect physique. Deux diététiciens suivent les coureurs au jour le jour et proposent des menus adaptés, matin-midi-soir. En fonction des calories nécessaires, ils s’adaptent aux entrainements et aux compétitions. Cette approche plus minutieuse de la diététique et cette quête de la performance ont même surpris Alexander Kristoff, nouveau venu qui débarque quand même d’UAE (équipe de Pogacar et plus gros budget du peloton). Ce n’est pas rien. Ce qui est surprenant aussi, c’est que cette professionnalisation n’a jamais affecté l’ambiance familiale qui peut aussi faire notre force. Tout le monde est important et à chaque repas en équipe, on range nos téléphones, on discute dans un climat chaleureux qui contraste parfois avec celui de certaines équipe qu’on croise dans les mêmes hôtels. Malgré tout, on ne banalise pas le succès, au contraire, chaque victoire s’apprécie à sa juste valeur, dans le bus, dans l’hôtel ou sur le groupe WhatsApp.
Le phénomène Biniam montre toutes les caractéristiques de la prochaine superstar du cyclisme, quelle impression te fait-il ?
On parle souvent d’une bonne pioche de l’équipe, même si ses résultats antérieurs laissaient présager un avenir glorieux. On sait qu’il a du feu dans les jambes et un talent dingue, et cette année, il a dû composer avec une attention particulière portée sur lui, qui peut rendre fou un jeune qui est souvent sur les réseaux sociaux, surtout depuis sa victoire à Gand Wevelgem. Je m’entends super bien avec lui, et toute l’équipe l’apprécie, mais je me rends compte, quand je vais le chercher dans sa chambre d’hôtel pour le conduire au point presse où les sollicitations sont toujours plus nombreuses, que sa vie a changé. Pourtant, ça reste un gars hyper décontracté. La veille de sa victoire au Giro, on roulait en trottinette dans le parking avec les mécanos, il était crevé mais a demandé s’il pouvait remplacer l’heure initialement prévue pour « tourner les jambes » par une heure de trottinette. C’est un chouette gars, toujours reconnaissant, qui fait du bien à l’équipe et au cyclisme.
A quoi ressemble le quotidien d’un photographe au sein de l’équipe Wanty sur un grand tour ?
Tout est réglé comme du papier à musique. On reçoit un mail la veille du directeur sportif responsable avec les horaires prévus pour le déjeuner, le briefing… Ensuite, j’essaye de foutre la paix au maximum au coureur le matin, car avoir en permanence un objectif sur soi n’est agréable pour personne. En fonction du scénario, je m’adapte, j’immortalise le discours d’avant course et j’essaye de raconter du mieux que je peux l’étape du jour. Généralement, j’accompagne l’équipe ravito pour être le premier sur l’arrivée. Le soir, je trie mes photos et les envoie, sur une drop box qui permet aux sponsors d’avoir accès à mon travail. Je fais également de la vidéo, donc j’essaye d’immortaliser les moments à l’hôtel, au massage, rendre compte de l’ambiance générale… Ensuite, je vais dormir, et le lendemain, c’est rebelote.
Quel est pour toi le cycliste le plus photogénique, et la photo dont tu es le plus fier ?
Je ne dirai pas qu’il y’en a un cycliste plus photogénique que les autres… Mais, bien entendu, les superstars comme Mathieu van der Poel, Wout Van Aert sans oublier Tadej Pogacar qui a toujours le sourire, sont photogéniques à leur manière, de par leur charisme et leur aisance sur un vélo, la puissance qu’ils dégagent. J’ai eu la chance d’immortaliser l’échappée dantesque de Mathieu van der Poel lors de Tirreno-Adriatico où il attaque à 60km de l’arrivée, à fond de balle dans la descente, avec une barre d’énergie dans la bouche, je me trouvais devant trois maisons, une rouge, une blanche et une bleue… Le décor matchait parfaitement avec le maillot de champion des Pays -Bas que portait Mathieu… Et sinon, je me souviens lors de Liège-Bastogne-Liège, où on voit mes grands-parents encourager notre coureur Baptiste Planckaert, elle lie le boulot à la famille, donc elle m’est particulièrement chère. Par contre, chez Wanty, je dirais que le plus photogénique et sans nul doute Andrea Pasqualon. C’est un vrai poseur, il adore ça et est toujours souriant !
Tu as publié deux livres photos qui nous permettent de nous plonger dans le quotidien d’une équipe cycliste professionnelle, as-tu d’autres projets futurs ?
J’ai auto-édité deux livres, le troisième arrive prochainement. On bosse aussi sur un contenu vidéo avec l’équipe. Au fil du temps, j’ai accumulé des milliers de photos sur mon disque dur, publier un ouvrage et encadrer les plus belles permet de garder une trace de ces saisons qui défilent mais ne se ressemblent pas.
Kevin Galle
Crédit photo : Vincent Calut / Photonews, Alessandro Volders