Fricadelles et crustacés. Chronique d’un jeune #Liégeois dérangé.
Hier soir, j’ai apposé le mot « fin » au bas d’un long texte censé devenir un roman à succès. Pour ceux qui n’ont jamais écrit de roman, et vous êtes de moins en moins nombreux, je dirai que c’est une sensation étrange qui ne ressemble à aucune autre sensation déjà ressentie. Un petit mot pour une petite mort sans orgasme, assez simple, mais qui ponctue six ans de travail et qui sonne un peu creux. Rares sont les fins heureuses. La dernière gorgée de bière est souvent plate ou un peu chaude, la fin d’un bon plat en sauce nous pousse à laper notre assiette. Désormais je flotte dans un flou artistique et discerne à peine l’immense chemin qu’il me reste à parcourir pour être reconnu. J’donnerais un bras pour retrouver le plaisir naïf du début, du temps où le shampoing et le quotidien ne piquaient pas les yeux.
Les jours filent comme des insectes flairant l’Roundup. Cela fait une décennie que j’aiguise cette foutue plume que j’échangerais volonters contre un plus gros sexe ou un meilleur shoot à trois points tant ceux-ci apparaissent comme des sujets de conversation plus intéressants lors des discussions insipides qu’on consent à tenir avec ses semblables. Un paquet d’années que je lutte contre l’apesanteur qui fait tomber des mains du consommateur ce tas d’feuilles reliées, moins cher format Kindle. Un temps fou, non rémunéré, à tenter de rédiger un texte qu’on trouvera « pas mal ». Soit un jugement critique qui frappera d’anathème l’anarchiste promis au chômage.
J’ai écrit une pochade intitulée « Demain il pleut », en espérant des jours meilleurs. J’enverrai un bouquin en espérant plus rien. Je l’intitulerai : « Sait-on jamais ». La déception, c’est mon créneau. Cela fait quelque temps que je personnifie un désespoir que seul Joaquin Phoenix pourrait incarner au cinéma.
Si je compte les lettres de refus d’employeurs et d’éditeurs ou que je me risque à écrire l’adverbe « malheureusement » sur ma barre de recherche Gmail, je peux faire un constat qui écœurerait un laissé-pour-compte qui fait la manche, ou un homosexuel qui tente de recueillir des signatures pour sa pétition en Jamaïque, parce qu’il aimerait bien que son orientation sexuelle ne soit pas passible d’emprisonnement.
Sur 6000 manuscrits (non, il n’y a pas trop de 0), un seul Roman sera publié. Par conséquent, si vous désirez faire fortune, optez plutôt pour un billet à gratter ou devenez ministre de la santé, il y a moins d’appelés et plus d’élus. Malgré ces statistiques déprimantes, je me laisse porter par ma nature optimiste, je suis convaincu par mon talent et mon originalité. Je n’ai pas une chance sur 6000 mais sur 5000. J’ai lu Bourdieu, et je sais que le mérite est une invention des riches pour rester riche. (En vrai, j’ai rien pigé, mais j’ai un sens du résumé à faire pâlir un éjaculateur précoce.)
Pendant le confinement, un nombre incalculable de lavedus se sont improvisés écrivains parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. J’aimerais les réunir sur une grande place, affréter un avion que je remplirais de pigeons sujets à une terrible gastro puis les libérer afin qu’ils puissent déféquer copieusement sur leur sale tronche. À titre perso, lors du premier confinement je me suis improvisé peintre, mes vomis en gouache auraient à coup sûr donné de très beaux motifs Desigual, mais à aucun moment je ne me suis proclamé nouveau Van Gogh. Alors évitez de saturer les boîtes aux lettres de ces crabes.
J’entends volontiers l’argument qui stipule que les travailleurs du secteur de l’édition sont des vieux aigris, mais c’est faux. Il y a aussi des jeunes qui servent le café dans l’espoir que leur stage découle sur un CDI et qui ont fort apprécié les manuscrits refusés devenus papier toilette. Aussi vrai que l’ignoble prénom Kévin me contraint à adopter un nom de plume, il faut toujours garder espoir. Car l’espoir, c’est un adjuvant non détectable au test anti-dopage et à l’éthylotest. (J’espère que Nairo Quintana et mon ami Kessel me lisent.)
Ps : comme le dirait mon poète préféré Booba, achète mon livre à tes gosses ou j’leur vendrais d’la drogue.
Kévin Galle